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Les souterrains du Pays de Caux ou L’Art de la Marnière

Le Grand Œuvre souterrain (source : Morkitu.org)

Les souterrains me fascinent.

C’est un secret pour personne.

Je suis “tombé” dans le monde souterrains il y a un peu plus de dix ans en explorant un bunker allemand abandonné dans l’arboretum de Rouelles. J’avais fait mon premier pas sous terre. Premier pas d’une longue série qui m’entrainera jusque dans les profondeurs du Havre, puis de Paris.

Premiers pas dans les souterrains du Pays de Caux (Source : Dargor)

Les Souterrains me fascinent.

Il faut dire qu’au Havre on est servi.

Rien que ces deux mots associés, “Havre” et “souterrains”, je suis sur qu’ils vous font déjà rêver.

Ce n’est pas sans raison si nous autres havrais avons la passion du mystère dans le sang.

On connait tous quelqu’un qui connait un type qui a exploré le fameux tunnel mystérieux qui relie l’abbaye de Montivilliers au Chateau de Tancarville en passant par le réseau de grottes de ST Vigor…

En general c’est le même gars qui sait où se trouve le trésor des allemands, planqué à la liberation, dans un bunker oublié, sous le tunnel Jenner.

Mouais… Pas convaincu ?

Moi non plus … Pas franchement.

Mais les grandes aventures commencent toujours comme ça, et finissent souvent sur un fond de vérité.

En 2005, 2006, on m’avait parlé d’un immense réseau de souterrains sous le plateau des Ardennes St Louis, à Montivilliers.

Un vieux qui promenait son chien nous avait assuré, à mon pote Clément et moi, que le réseau était immense et qu’on pouvait s’y perdre facilement.

Forcement, les jeunes casse cous que nous étions ont mordu à l’hameçon, et nous avons recherché l’improbable réseau de tunnels.

Au risque de vous décevoir, il n’existe pas vraiment.

Enfin si un peu quand même.

Pendant les années d’occupations, les allemands ont bâtis des casemates sur le rebord du plateau des Ardennes St Louis. Rien d’extraordinaire, juste des casemates. Et encore certaines d’entre elles ne se résumaient qu’a un trou dans le sol surmonté d’un système de camouflage rudimentaire.

Sauf qu’entre ces casemates, ils ont creusé des tranchées, et pour se mettre à l’abri du moindre projectile, ils ont couvert leurs tranchées de plaques de béton, de tôles. Ils ont renforcé les parois avec des briques et du mortier.

Après guerre, le réseau de tranchées couvertes a été recouvert de terre, de feuilles, de plantes. Et les tranchées se sont fondues dans le paysage. La Nature avait repris ses droits…

Par manque d’entretiens, les tranchées oubliées se sont affaissées. Aujourd’hui encore elles sont là, sous nos yeux, il ne reste plus qu’une vague depression dans le sol, et quelques plaques de béton et murets de briques.

Vestige d’un ancienne tranchée couverte (source : Personnelle)

Ce vaste réseau de tranchées couvertes semble être à l’origine de la légende des tunnels du plateau des Ardennes.
D’autant que toutes les tranchées couvertes n’ont pas disparues.
L’une d’entre elle, plus élaborée que les autres est encore bien conservée, et court aujourd’hui sous l’un des chemins forestier.
Elle relie une vielle casemate à un abri souterrains.

A la fin des années 2000, la CODAH a fait murer ces deux ouvrages, au même titre que la plus part des blockhaus qui étaient connus de leur service dans toute l’agglo…

La casemate à la meurtrière avant d’être murée (source : Personnelle)

C’est un monde inconnu qui gît aujourd’hui sous nos pieds, avec sa faune, sa flore, ses champignons.
Du plafond de la tranchée pendent d’innombrables racines d’où perlent quelques gouttes d’eau.
Les murs de bétons, sur lesquelles figurent peut être quelques inscriptions de soldats d’hier, sont aujourd’hui couvert de mycélium, et de quelques petits insectes cavernicoles discrets. En embuscade, dans un recoin de la tranchée, une grosse araignée noire au corps luisant qui ferait frémir les moins téméraires d’entre nous. Le sol boueux abrite lui aussi son monde à part.
C’est un refuge inespéré pour les tritons fuyant le froid de l’hiver.
Imaginez qu’un tel microcosme change au fil des saisons.
Au printemps, le plafond est couvert de papillons. De moins en moins chaque années…

La vieille Tranchée couverte en 2007 (source : Personnelle)

L’endroit est un refuge silencieux rythmée par le seul bruit des gouttes d’eau chutant du plafond.
Autrefois ouvert au quatre vents, la casemate était un refuge pour tout animal pouvant se glisser par sa meurtrière.
Aujourd’hui muré, l’endroit sommeille, attendant des jours meilleurs pour ouvrir ses portes et offrir asile à ceux qui le demanderait.

La casemate des Ardennes n’est qu’une facette de nos mystérieux souterrains de l’agglomeration havraise.

Il ne faut pas aller bien loin pour trouver une nouvelle cachette.

Ce vieux parc connu de tous, non loin du tunnel Ste Marie, recèle encore un vestige du XIXème siècle.

Qui aurait cru que cette grotte artificielle aurait subsisté jusqu’a aujourd’hui. C’est pourtant bien le cas.

En sortant d’un sentier battu, en bifurquant près de ce vieux tronc d’arbre ruiné, un chemin semble comme s’enfoncer dans le sol.
Et c’est bel et bien le cas, puisque la voie mène à cette grotte oubliée.

J’ai retrouvé une photo où l’on voit la grotte. Malheureusement, j’en ai perdu la source.
Si vous connaissez le photographe et le détenteur du négatif, je serai heureux de le connaitre et de l’indiquer en tant que source.

La Grotte oubliée (source : tout droit réservé)

L’entrée de la Grotte en 2006 (source : Personnelle)

Au fond de la caverne artificielle (source : Personnelle)

“Le sous sol du Havre est un gruyère”, entendons nous souvent.
Et bien ce n’est pas une légende.
C’est bel et bien le cas.

Les souterrains que je viens de citer sont anecdotiques par rapport à l’ensemble de cavités parcourant les profondeurs de notre ville.

Il faut dire que nous portons un sacré héritage cauchois.

Celui des marnières…

Des souterrains du Havre, au pluriel. Ici rue du Bois au coq : Bunker, marnière, galerie de captage, et autres indices (source : PLU LH)

Au Havre, on charbonne, on marne si vous préférez.

Et on marne depuis des lustres. On marne de père en fils. Faut dire que c’est du genre rural par “cheu nos”.
Et pour augmenter le rendement des champs on a eu tôt fait de s’apercevoir que la craie du sous sol faisait des miracles.

Chimiquement, le marnage fait augmenter le pH du sol et améliore la productivité. Alors on creuse. On creuse, ici. Et là. Un peu partout…

Au XVII ème siècle aux abords d’Ingouville, de Graville, Montivilliers, Harfleur, Octeville …
On marne de manière frénétique.
On creuse partout où la côte le permet. Début XIXème, c’est l’age d’or de la marnière. L’apogée d’une culture de la pierre blanche.
Cette pierre blanche est omniprésente.
On l’utilise pour construire sa maison, on la sépare du silex pour récupérer ce dernier et venir orner la demeure rurale avec.
On utilise tout ce qu’on peut de cette ressource, on ne gaspille rien.
T’façon c’est pas le genre de la maison “Normandie” le gaspillage.
Les gravillons de craie serviront à faire l’épandage à travers champs.
On parle d’un mètre cube de marne par hectare et par an, c’est une moyenne.

A marner dans tous les sens, l’Etat va bien vite se rendre compte qu’il risque gros …
Il faut dire qu’on a encore en tête la catastrophe de D’enfer à Paris.

En plein mois de décembre 1774 la rue d’Enfer s’affaisse sur plusieurs mètres de profondeur.
La catastrophe couvre plusieurs centaines de mètres de cette rue du vieux paris. Les carrières oubliées, abandonnées, qui se situaient à 25 mètres sous la surface, se sont tout simplement écroulées sur elles même.
La catastrophe est terrible est engendre un bon nombre de victimes.
Tant et si bien que Louis XVI, par décret royal ordonne la création de l’IGC (l’Inspection Générale Des Carrières). L’IGC voit le jour le 24 avril 1777.

Extrait du mémoire sur la première phase des travaux de consolidation de Paris, par Charles Axel Guillaumot, premier inspecteur général des carrières de Paris en 1777 (source : wikipedia)

Pour résumer Guillaumot va entreprendre la réalisation d’ouvrages de consolidations sous Paris pour que la cité ne s’écroule pas sur ses carrières oubliées.
Une ville en négatif.
C’est la naissance d’un vaste réseau d’exploration.
Pour trouver ces carrières oubliées, Guillaumot va réaliser des galeries d’inspection sous les ouvrages publics et rues importantes de Paris.
A chaque fois qu’il trouvera une carrière oublié, il effectuera des travaux d’architecture majeur pour la consolider, puis reprendra son travail d’exploration et d’excavation.

Les carrières de Paris, en jaune le calcaire brut non exploité, le reste c’est du remblais. Paris repose sur un vaste vide… (source : Planche IGC)

Ce vaste réseau est très connu aujourd’hui.
C’est ce qu’on appelle, à tort, les Catacombes de Paris.
Toutes ces carrières isolées les unes des autres seront ainsi reliées par les galeries d’inspection de l’IGC à partir de 1777.

1777. Date Ô combien fondatrice pour la culture des cataphiles parisiens, ces visiteurs clandestins, amoureux du patrimoine.
Certains explorateurs vont jusqu’à se faire tatouer cette date pour se reconnaître en bas.

Gravé dans la pierre, Gravé dans la chair (source : Cataphile Champi)

Revenons au Havre. Vous avez compris la situation de Paris.

Pensez vous que le plateau, la ville haute actuelle, sont à l’abri d’une catastrophe digne de la rue d’Enfer ?

Les marnières lézardent notre ville haute et notre côte. Certaines sont vraiment petites, d’autres sont cyclopéennes.
Mon ami Laurent Durel attirait mon attention sur un chantier de Sanvic.
Il m’expliquait qu’une marnière se trouvait sous ce chantier et que les ouvriers la comblait de ciment pour l’empécher de s’affaisser à l’avenir. Sauf que ça fait des semaines que les ouvriers comblent et comblent sans en voir le bout… Les camions défilent déversent, et continue ce manège. A n’en pas douter la marnière de Sanvic est un gouffre sans fond !

Pour ma part, j’estime qu’elle sort un peu de l’ordinaire de par ses dimensions. Généralement, on extrayait entre 200 et 500 mètres cubes de matériaux par marnière dans notre pays de Caux.

Face à ce danger omniprésent, et surtout face à l’urbanisation explosive de la cité du Havre qui à éclot de ses remparts au milieux du XIX ème siècle. Il est devenu obligatoire, aux yeux de la loi, depuis 1853 de déclarer en mairie sa ou ses marnières.

Rue Jules Balière à Sanvic, une marnière sans fin (source : Paris Normandie)

Pas facile de changer ses habitudes, surtout pour le “Nourmand taiseux”.

Vous vous en doutez, tout le monde se fout de la “loi marnière”.

Alors les inspecteurs des mines parcourent le pays de Caux pour débusquer les contrevenants.
Mais le cauchois à plus d’un tour dans son sac. La loi autorise les inspecteurs à fouiller les propriété rurales de fond en comble, sauf la chambre du fermier, c’est à dire la pièce avec le lit. “Qu’à cela ne tienne” disent les exploitants agricoles.
Et c’est ainsi que la campagne havraise, voit fleurir aux alentours, en plein champs, des cabanons abritant une paillasse, ou un petit lit rouillé.

J’imagine tellement bien la tête de l’inspecteur des mines devant le cabanons, exigeant l’ouverture de celui ci pour constater la présence d’un puits de marnière, et la tête du fermier lui expliquant, petit sourir aux lèvres : “Mais mon bon monsieur, c’est là où je dors, c’est ma petite chambre, vous n’avez pas le droit…”.
Le normand est du genre créatif quand il s’agit de ne pas payer d’amende.
On en rigolerait bien volontiers, mais des vies sont en jeu.

Effondrement de marnière en 2001 dans l’Eure (source : SDIS27)

Je sais pas vous, mais moi ces souterrains, ces marnières oubliées, ça pique ma curiosité.

Allez, je vous propose une petite exploration. Mais comme avant toute exploration il faut préparer sa descente…

Dans quoi allons nous mettre les pieds, ça va se présenter comment ces marnières ?

Une marnière type devrait ressembler à ce qui suit :

Un accès, soit par un puits soit par un cavage, c’est à dire un trou béant à flanc de plateau.

Les puits d’accès sont pas bien grand en général, ils ne dépassent pas le mètre. Rares sont les marnières disposant d’un puits d’accès de 2m de large…

Cavage, Puits et Descenderie(source : LCPC DIAGCAR)

Une fois dans la marnière nous pouvons être confrontés à plusieurs cas de figures :

1. La marnière est composée de piliers tournés, c’est à dire que les carriers ont creusé le calcaire en tournant autour de vastes piliers pour soutenir le ciel, c’est à dire le plafond de la carrière.
Souvent, les marnière à piliers tournés disposent de plusieurs niveaux d’exploitation et plusieurs réseaux de galeries.

Une marnière à piliers tournés est très souvent synonyme de vaste réseau.

C’est le cas sur Gonfreville à ma connaissance, et très probablement aux alentours de Dollemard.

Marnière à piliers tournés (source : archives départementales — CG27)

2. Autres cas de figure, les marnières anciennes, dîtes bi-salles.

Souvent rencontrées “de l’aut’coté de l’eau”, il s’agit d’un ensemble de deux salles rondes, à la forme d’une grosse bulle dans le calcaire.
L’accès se fait toujours par un puits. Une galerie centrale les relie, c’est ce qu’on appelle un oscillard.

3. Les marnières en forme de langue.

Une longue galerie de 20 à 30 m s’élargit à mesure qu’elle s’enfonce sous terre.
Certaines de ces marnières se subdivisent sur leur longueur.

4. Les catiches.

Marnières rares dans notre pays de Caux, et pourtant bel et bien présente au Havre.
C’est un technique d’exploitation qui nous vient des Picards.

L’on creuse un puits d’un mètre de diamètre jusqu’à la couche crayeuse par de là le mourant, c’est à dire la couche d’argile à silex.
Le carrier, marneron, élargit progressivement le périmètre de son puits à mesure qu’il s’enfonce dans le plateau crayeux.
On a donc un embouchure d’un metre et un puits de 15 parfois 25 mètres de diamètre à la base.
La catiche à une forme rigolote de bouteille.
Chose amusante quand on sait le nombre de bouteilles que l’on trouve au fond des marnières, vestiges des cuites mémorables que devaient se mettre les marnerons pendant qu’ils marnaient…

Une fois l’exploitation terminée, les carriers bouchaient le puits de la catiche, non pas avec un bouchon de liège, mais avec de la brique, du bois du remblais …

Carrière à Catiche (source wikipedia)

De ma(r)nière générale, les marnières sont réalisées par une main d’oeuvre inexpérimentés, mais certains ouvriers, les marnerons, se sont vite spécialisés et sont devenus une main d’oeuvre recherchée.
Aujourd’hui leurs travaux sont reconnaissables puisque, passés maîtres dans leur art, leur technique est identifiable par l’agencement des galeries, ou les schémas appliqués.

C’est tout le contraire des marnières artisanales, anarchiques dans leur conception.

Bon, je vous ai promis une descente, je vais pas me défiler, assez causé, passons à l’action.
Nous avons l’embarra du choix, entre Le Havre et Yvetot, c’est plus de 500 marnières qui s’offrent à nous…

Je vous propose de suivre un auteur dont j’ai une fois de plus perdu la trace…

Vu la présentation de son témoignage, j’imagine qu’il devait être membre du CHRH dans les années 30, mais son témoignage peut aussi bien avoir été extrait d’un almanach du Havre du XIXème siècle...
Si vous retrouviez son identité je vous remercierai de me la communiquer.

Par delà l’anonymat de son témoignage, je sais qu’il fera un excellent guide pour nous faire découvrir la marnière de Gommerville.
Marnière faisant cas d’école.
Prenez votre lampe à acétylène et préparez vous à gagner le monde souterrains du pays de Caux.

Lampe à Acétylène sous St Vigor… (source : Cataphile Champi)

Nous voici à Gommerville en 1930 (peut être), juste derrière l’église, dans un champs voisin du bourg.
Vous venez d’entrer dans une petite structure évoquant une ferme, les murs sont rustiques et le toits fait de tuiles.
A l’interieur, devant vous, la bouche d’un puits ténébreux.
Il fait tout juste un mètre de large, il est muni d’une chèvre, sorte de système permettant la descente d’un homme ou d’une charge dans le gouffre par le biais d’un mécanisme à cordage et poulies.

Allons vous n’allez pas vous dégonfler ?

Comment ça “et si ça s’éffondre?”?

Ya pas de risques, les marnerons à l’oeuvre font un super travail, ils connaissent la marnière comme leur propre demeure.
Les accidents sont de plus en plus rares, rassurez vous.

Allons, descendons voulez vous ?

Les poulies grinçantes et les cordages instables vont bien vite nous amener en bas du puits.

C’est une belle atmosphère qui s’offre à vous.

Alors que vous descendez dans ce puits profond, la lumière chaude et orangée de votre lampe à acétylène se réfléchie sur les quelques silex de la couche du mourant.
Cette couche argileuse est connue comme l’une des couches géologiques les plus dangereuses lors du percement d’une marnière.
Elle est par nature extrêmement instable.

Coupe schématique de la marnière de Gommerville (source : témoignage perdue)

Subitement c’est le sol de la marnière que vos pieds viennent heurter.

Vous êtes arrivé à destination.
Ne levez pas les yeux, la vue de la lumière du jour à plus de 30 mètres de hauteur va vous donner une impression de vertige inversé.
Le temps de se désengager des cordages, vous découvrez une longue galerie.
C’est un peu la grande avenue de la marnière, on l’appelle l’oeillard “par cheu nos”.

Maître Vincent est là pour vous accueillir, l’homme est bourru, un meneur né.
Il porte la moustache comme ses collègues au travail. 37 ans qu’il marne sous le pays de Caux.
Autant dire qu’il connait son sujet. Il lit la pierre comme l’on lit un livre.
Aucune fissures n’a de secrets pour cet expert. Il vous confie que les accidents de marnières sont dus à l’inexperience et qu’avec lui cela n’arrive pour ainsi dire, jamais.

Alors que vous suivez maître Vincent, vous reconnaissez bien vite une marnière bi-salles aux allures artisanales. Les marnerons sont là, certains couchés dans des dépressions et anfractuosités de la roche, il récolte l’or blanc dans une atmosphère laborieuse rythmée par les percussions des burins.

L’endroit est tantôt industrieux, bruyant, mais sitôt l’heure de la pause sonnée, que l’atmosphère change.
Le silence gagne bien vite les galeries. Les parois de calcaire absorbent le moindre petit bruit, et bientôt les voix des ouvriers s’éteignent alors qu’ils gagnent le puits pour remonter à la surface.

L’ouvrage souterrain (source : Morkitu.org)

Dans les ténèbres de la marnière le silence est roi. La lumière absente.

Nous pourrions être dans l’au delà que ce serait pareille…

Mais il reste encore vos sens qui vous relient à votre condition de mortel.
Vous avez un peu faim, un peu froid, peut être soif…
C’est bien ces seules sensations qui vous rappellent, dans l’obscurité et le silence, que vous êtes bien vivant.
Le monde souterrain est décidément propice à l’introspection.

Au fond des galeries (source : sgmcaen.free.fr)

Regagnons la surface, à moins que vous ne vous sentiez bien ici…

Les marnières sont dangereuses, c’est un fait.
La place des marnières dans nos préoccupations du XXIème siècle est à considérer, cela ne fait aucun doute.

Mais je pense qu’il ne faudrait pas simplement les voir comme de simples risques dits “industriels”.

Aujourd’hui, dans l’oeil du profane, une marnière c’est la cata. La tuile, un coup de pas de chance…

La destruction est systématique. Pourtant le savoir faire des anciens marnerons et carriers était bien plus élaboré que celui que nous mettons en oeuvre aujourd’hui pour supprimer le risque d’éffondrement.

Quand Charles Axel Guillaumot à Paris, ou encore Héricart Ferrand Vicomte de Thury à Fécamp, consolidaient des souterrains, ils élaboraient de véritables plans de consolidation.
Chaque pierre trouvait sa place dans le grand édifice qui maintenait la surface. Quand Guillaumot mettait en place des structures à encorbellement dans ses tunnels, l’ouvrage qui en résultait était “beau”, portait en lui une certaine noblesse.
Aujourd’hui la méthode du béton déversé dans le vide souterrain rend la sauvegarde de la marnière impossible.

Consolidation à encorbellement (source : perso)

Injection en cours (source : Kataddict)

Après tout, pourquoi conserver une marnière ?

Et bien parceque depuis que l’homme creuse dans le pays de Caux des galeries, ces dernières servent de tapis sous lequel on planque ce qui dérange.
Je m’explique. En 1944 les américains nettoient le secteur havrais des bombes et autres mines inexplosées, il faut détruire au plus vite tout ces fusils, grenades et autres canons abandonnés par les allemands.
Certes, mais l’urgence est à la construction de logements provisoires.
Alors plutôt que d’utiliser de précieuses ressources à la sécurisation de la campagne locale, les américains vont tout planquer sous le tapis… Une marnière c’est parfait, on la remplie de ces machins dangereux qu’on ne veut plus voir et on bouche l’entrée.

La marnière sert de poubelle depuis l’antiquité !

Je vous laisse imaginer ce qu’on peut y trouver.
J’ai souvenir pour ma part d’avoir exploré une marnière, avec l’accord d’un propriétaire, et d’avoir découvert que le fermier d’avant y avait stocké son pinard, puis l’avait oublié là.
On y trouve des vestiges industriels du XIXème siècle aussi.
J’ai retrouvé des bouteilles de la brasserie de l’Ouest ainsi.
Brasserie dont les caves à glace étaient situées dans les souterrains qui abriteront plus tard le célèbre hôpital allemand du Havre.

Exemple de vestiges souterrains(source : Pierre Henry Muller Boreally.org)

Les marnières nous livrent un précieux héritage.
Celui de notre histoire locale.

Les marnières sont des capsules temporelles, qu’il s’agit de considérer comme telles.
Elles attirent les curieux depuis leur création, elles ont été le repères de malandrins, les cachettes idéales pour échapper aux douaniers…

les marnières sont pratiquement toujours remplies d’inscriptions sur leurs parois.
Derniers souvenirs du marneron, témoignage du prussien de passage dans la région, message d’amour du bosch pour sa normande.

J’éspère être parvenu à vous communiquer ma passion de ces mondes oubliés.

Et peut être vous avoir donné le goût, ou au moins la curiosité de reconsidérer la place de la marnière dans notre monde ultra urbain d’aujourd’hui.

Je vous dis à très bientôt, sur terre ou sous terre !

En attendant, je retourne marner… (source : plaque dans les carrières de Paris, perso)

Goé, le goéland rieur ne survolent pas que les immeubles Perret, il lui arrive de venir croquer le monde sous les pavés de la ville de ciment et d’acier.

Il nous livre une de ses production sur laquelle il a marné comme il le fait si bien.

Merci Goé !!!!

(source : Goé LH)

Sources :

PLU du Havre

Kataaddict.fr

SGMcaen.free.fr

Goé LH

Morkitu.org

wikipedia

Archives départementale de l’eure et de seine maritime

Paris Normandie

Inspection Générale des Carrières de Paris et d’Ile de France

Rapport ETS

Rapport LCPC DIAGCAR

Pierre Henry Muller Boreally.org

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Commentaires: 5
  • #1

    Sylvianne CAMOREYT (vendredi, 20 mai 2022 18:29)

    Merci!
    J'ai passé un excellent moment à vous lire!

  • #2

    Dan (vendredi, 20 mai 2022 19:19)

    Très intéressant reportage, mais venant de toi cela ne m'étonne pas

  • #3

    françois POUPEL (samedi, 21 mai 2022 12:44)

    Très beau document , complet , bien . Bravo.

  • #4

    Clesius Néofolk (dimanche, 22 mai 2022 20:36)

    Merci pour vos messages d'encouragements.
    D'autres articles à venir...
    Et aussi des nouveautés.

  • #5

    Phillippe Chambrelan (lundi, 23 mai 2022 18:17)

    Super article sur notre monde souterrain.
    Pour info , dans les années 70-80, il y avait un groupe de spéléo-amateur au sein de la MJC du havre qui passait leur week-end à visiter et cartographier les "Sous-sols" du pays de caux...il y a peut-être encore des archives de ce côté.
    Il faisait des sorties également avec le "Spéléo club du roule" dont Th.Lemaire était membre (alias Eriamel dans la BD) .
    Mais ces infos commencent à dater, il va falloir explorer le passé...
    Un grand merci pour cet article