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Sous le Perrey, la Vérité ?

Triste époque que celle où l’on tue aveuglément au nom d’une religion.

Triste époque que celle où la vie s’efface devant l’orgueil et l’égo des plus forts.

Je parle bien entendu de l’épisode sombre de l’Histoire de France que sont “Les Guerres de Religions”.

Massacre de la Saint Barthélemy en 1572, peinture de François Dubois
(source : Wikipedia)

Et au Havre ?

Je vous propose un premier bond dans le temps :

Nous sommes le 16 mars 1599, Notre Dame sonne trois heures de l’après-midi. 

Non loin de là, au Logis du Roy, trois frères pénètrent dans la cour de ce premier Hôtel de ville.

Ils sont fiers, la tête haute, un brin pédants peut-être ?

Il s’agit des frères Raoulin, trois officiers de l’armée.

Qui ne les connait pas au Havre à cette époque? 

Leur réputation n’est plus à faire.

Quand l’un fait des esclandres, l’autre court les jupons, et Dieu sait ce que fait le troisième !

Le Logis du Roy
(source : AMH 5Fi39)

En ce temps là, la confession religieuse déterminait, en de nombreux points, la place que l’on occupait dans la société.

Les Catholiques se livraient une véritable guerre contre les Huguenots (c’est à dire des protestants français).

Les Huguenots n’avaient pas accès à toutes les professions par exemple.

La discrimination religieuse était courante, et surtout, une affaire d’Etat.

Les frères Raoulin sont catholiques, et n’apprécient guère le roi Henry IV récemment converti au Catholicisme.

Pour eux c’est indiscutable, Henry IV n’est qu’un Huguenot malgré sa conversion !

Revenons à nos trois frères inséparables en cet après midi de mars 1599.

Ils sont mandés par le capitaine Goujon, le Lieutenant du gouverneur de la ville.

On ne sait pas ce qu’ils ont bien pu se dire…

L’on suppose, pour diverses raisons, que les frères Raoulin ont comparus devant un tribunal ayant pour juge le capitaine Goujon et le gouverneur de la ville Georges Brancas de Villars.

La rumeur veut que l’un des frères Raoulin ait eut une liaison avec l’épouse du gouverneur, une autre rumeur fait état de la popularité trop grandissante des trois frères; cette dernière allant jusqu’à faire de l’ombre au gouverneur lui-même.

En réalité il est fort probable que leur désinvolture envers le roi leur ait attiré les foudres du gouverneur.

Mais là encore, “Certitude vaut mieux que supposition”…

Le Logis du Roy
(source AMH : 5Fi50)

Le Gouverneur réprimanda violemment les frères, puis donna l’ordre de les faire emprisonner dans la tour François 1er à quelques 30 mètres de là.

Les officiers, et la garde n’attendaient que cet ordre.

C’est comme si, le gouverneur et son lieutenant, le capitaine Goujon, s’étaient mis d’accord pour faire disparaître les frères.

Une lutte s’ensuivit.

Encerclés de toutes part, n’ayant nulle retraites, les frères se défendirent farouchement.

Mais le nombre et l’équipement de leur adversaire eurent raison d’eux.

La scène d’une incroyable violence doit encore retentir dans la mémoire du Perrey…

Les frères Raoulin, poignardés de tous cotés, exsangues, s’écroulèrent sur le pavé froid du Havre.

Ils étaient morts.

Au nom de quoi ? Au nom de qui ?

Personne ne peut le dire aujourd’hui.

Mais une chose est sûre, l’église s’est emparée de l’affaire, proclamant que les frères Raoulin étaient morts en martyrs pour l’église catholique !

Intérieur de la tour François 1er
(source AMH)

L’on raconte que le sang aurait tant maculé le pavé de la ville qu’il aurait été impossible de le nettoyer à fond.

Aujourd’hui une plaque commémore leur mort tragique dans la cathédrale Notre Dame de grâce.

Je vous propose un autre bond dans le temps.

1967

Le 450 ème anniversaire de la fondation de la ville.

A cette occasion, et à défaut de pouvoir admirer une arche de container comme en 2017, l’on pouvait assister à un défilé de chars dont l’un de ces derniers avait pour thème le meurtre en place publique des frères Raoulin.

Char de l’affaire Raoulin
(source : AMH 3Fi2207)

Char de l’affaire Raoulin
(source : AMH 3Fi2207)

Cette affaire Raoulin aura été mémorable pour marquer les esprits jusqu’en 1967.

Mais la vérité demeure toujours mystérieuse.

Vous connaissez mon intérêt pour la chose souterraine, aussi, vous ne serez pas surpris de constater que c’est encore une fois par ce biais que je décide vous faire entrevoir une hypothèse qui aura retenu mon attention.

M. Maurice Gremont, membre de l’association des “Amis du Vieux Havre” actuel “Centre Havrais de Recherche Historique” nous fait part en 1933 de son étrange découverte.

Au cœur même du Perrey, dans les fondations d’un ancien garage, une galerie fait surface.

Personne ne sait où elle mène.

Personne ne sait de quand elle date.

Le mystère est entier.

M. Gremont reconnu immédiatement les fondations du second hôtel de ville du Havre.

Le second Hôtel de ville
(source : AMH 6Fi119)

Là, dans une flaque de boue, gît un poignard.

Ou plutôt une dague.

Un ouvrier un peu gauche finira par le briser en deux avec une pioche.

Mais M. Gremont réussira à le récupérer afin de l’étudier bien en détail.

Riche idée !

Car le poignard ne sera pas avare en histoires à raconter.

Mais revenons à notre second Hôtel de ville.

Ci-dessous en vue de face.

Plan de façade du second hôtel de ville
(source : AMH)

Intéressons nous au sous-sol maintenant :

Plan du second hôtel de ville
(source : AMH)

Sur le plan ci dessus, nous pouvons reconnaître sur la gauche la porte Perrey.

L’ensemble est constitué d’un groupement de caves voûtées.

Les tracés bleus indiquent le système de récupération des eaux de pluies.

Enfin le numéro 6 indique notre galerie mystérieuse.

Cette galerie, dont il ne restait que des vestiges au XIXème, reliait peut être, en son temps, le Logis du Roy à la Tour François premier, en passant par les remparts.
[edit : peu probable vu son tracé]

Une telle structure n’est pas étonnante, puisqu’elle aurait permis au gouverneur de gagner le “donjon” du port ou bien les remparts en quelques instants sans avoir à se compromettre en surface.

Et ce poignard alors ?

Et bien il semblerait qu’il date de la fin du XVI ème siècle, soit tout à fait l’époque de l’affaire Raoulin !

En outre la forme, et l’aspect de la lame laisse penser à une arme d’un garde, ou peut-être d’un marin, ou d’un valet.

En bref, le doute est possible : Serions nous en présence de l’une des armes ayant servie à tuer les frères Raoulin?

Le tueur s’en serait débarrassé à la hâte en la jetant dans ces souterrains mystérieux et secrets.

Aujourd’hui, ils ne sont pas nombreux à connaitre l’affaire Raoulin.

Et je gage qu’ils sont encore moins nombreux à connaitre l’existence de la galerie secrète du Perrey.

Mais M. Maurice Gremont nous relate la découverte en 1931 !

Depuis la guerre est passée, les travaux ont remodelés le paysage…

Qu’en est-il de notre galerie?

Le PLU de la ville indique qu’il reste dans ce secteur une citerne enterrée qui date de cette époque.

Il est donc fort à parier que notre galerie doit exister encore, ou du moins en partie…

Et notre Dague ?

Disparue … Sans laisser de trace.

Je l’imagine prendre la poussière sur la vitrine d’un collectionneur privé… Du moins si elle n’a pas finie aux ordures.

Avant d’écrire cet article, je ne connaissais ni l’affaire Raoulin, ni l’existence de ce souterrain assez vaste.

Encore une fois, grâce à l’incroyable effort de préservation des Archives Municipales, et grâce aux nombreux chercheurs passionnés du Havre, j’ai découvert que notre ville regorgeait de mystères tous plus curieux les uns que les autres.

 


Sources


Je me suis basé pour la rédaction de cette article sur :

“Recueil de l’association des Amis du Vieux Havre no13”

Article de Maurice Gremont

Les Archives Municipales

“Esprit du Havre et ses aspects depuis ses origines”

Julien Guillemard

L’excellent article de M. Damien Patard

lehavredavant.canalblog.com/archives/2008/03/16/8337250.html

Et Wikipedia

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